La saison 2025 a oscillé entre la domination écrasante de superstars et l’éclat fulgurant de surprises totales. Entre les chefs-d’œuvre tactiques, les chutes tragiques et les épopées solitaires, le cyclisme mondial a écrit quelques-unes de ses pages les plus mémorables. Retour sur les instants qui ont défini une année hors norme.
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L’année 2025 restera dans les annales comme un paradoxe. Une saison où la prévisibilité apparente des résultats a été constamment déjouée par l’intensité dramatique des courses. Si le nom de Tadej Pogačar s’est inscrit partout, l’histoire s’est aussi écrite à travers des résistances inattendues, des collaborations parfaites et l’émergence de nouveaux visages.
Milan-Sanremo : Le Cipressa, nouveau théâtre de la guerre
Pendant trente ans, le Poggio dictait sa loi. En 2025, l’histoire a bifurqué 8 kilomètres plus tôt, sur les pentes du Cipressa. Dans un mouvement d’une audace folle, Tadej Pogačar a choisi ce versant pour lancer les hostilités, forçant une sélection immédiate. Seuls deux hommes ont pu encaisser : Mathieu van der Poel, le champion du monde, et Filippo Ganna, transformé pour l’occasion.
Le trio a collaboré dans la descente et la plaine, mais la trêve fut courte. Sur le Poggio, van der Poel a porté une estocade brutale, lâchant Ganna. Pourtant, le rouleur italien, dans un effort surhumain, est revenu dans les derniers hectomètres après une poursuite démente. Le final, haletant, a vu van der Poel lancer son sprint à 300 mètres, sans appel. L’Empereur régnant a rappelé à tous, y compris à un Pogačar troisième, qui commandait sur les Classiques. Une édition qui a réinventé le scénario de la Classicissima.
Le Giro : La revanche de Simon Yates, sept ans après
Le Colle delle Finestre, avec ses secteurs en gravier, est un lieu de fantômes. Celui de Simon Yates y rôdait depuis 2018, date de son effondrement face à Chris Froome. Le 30 mai 2025, le Britannique est venu les exorciser.
Isaac Del Toro portait le rose avec 1 minute et 21 secondes d’avance sur Yates avant cette 20e étape. Le plan de la Visma-Lease a Bike fut d’une simplicité géniale : Wout van Aert dans l’échappée, Yates qui attaque dans la montée. L’exécution fut parfaite. Pendant ce temps, derrière, Del Toro et Richard Carapaz, rivaux pour le podium, se sont neutralisés dans des querelles tactiques. Chaque seconde de désaccord offrait du grain à moudre à Yates.
Le Britannique, rejoignant van Aert, a tissé sa toile. Il endossa le maillot rose à Sestriere (Vialattea), scellant l’une des plus belles revanches de l’histoire du Giro, porté par un travail d’équipe tactiquement parfait.
Paris-Roubaix : La chute qui a tout changé
Son premier Enfer du Nord. Sa seule présence faisait de Tadej Pogačar un favori, même face au roi des pavés, Mathieu van der Poel. Le duel tant attendu a pris forme à Mons-en-Pévèle, où une accélération du Slovène a scellé la sélection définitive. Ils étaient deux, seuls, avec 40 km de pavés devant eux.
Le coup de théâtre est survenu à 38 km de l’arrivée. Dans un virage, Pogačar a glissé et chuté. Quelques secondes perdues, une moto changée. Face à van der Poel, c’était une éternité. Le Néerlandais, impitoyable, n’a pas regardé en arrière. Il a enfoncé le clou pour s’offrir une troisième victoire consécutive à Roubaix, égalant une légende, Francesco Moser. La chute d’un géant a rappelé que sur les pavés, la fortune sourit aux audacieux, mais trahit la moindre erreur.
Les Mondiaux de Kigali : Le chef-d’œuvre absolu de Pogačar
Le parcours était jugé le plus difficile de l’histoire des Mondiaux. La réponse de Tadej Pogačar fut à la mesure du défi : une attaque à 104 km de l’arrivée, sur les pentes du mont Kigali. Une folie.
Un à un, les favoris ont cédé. Remco Evenepoel a tenté de répondre, en vain. Isaac Del Toro fut le dernier à résister avant de craquer à 66 km du but. Seul, face au relief rwandais et à un peloton en lambeaux, Pogačar a livré une chevauchée d’une puissance inouïe. Il franchit la ligne avec plus d’une minute d’avance, réalisant le doublé Tour de France – Mondiaux pour la deuxième année consécutive, une première historique. Ce jour-là, il n’a pas gagné une course ; il a transcendé le sport.
L’Amstel Gold Race : Le piège tendu aux géants
Tout était écrit pour un nouveau coup de Pogačar. Après une attaque à 50 km du but, il semblait repartir pour une victoire en solitaire. Mais cette fois, la mécanique a grippé. Dans son sillage, Remco Evenepoel, de retour de blessure, et Mattias Skjelmose ont collaboré avec une rage rare.
Kilomètre après kilomètre, le duo a raboté l’écart. La jonction s’est faite à 8 km de l’arrivée. Les deux titans, épuisés et se jaugent, ont oublié un détail : le Danois Skjelmose, tapi dans leur roue. Au sprint, profitant de la fixation générale sur le duel Pogačar-Evenepoel, Skjelmose a jeté sa roue au bon moment. Il a remporté la plus grande victoire de sa carrière, offrant une leçon de tactique et d’opportunisme.
Strade Bianche : La chute, le fair-play, et la démonstration
Tom Pidcock en était sûr : il ne se battrait pas pour la seconde place. Sur les sterrati toscans, le Britannique est passé à l’offensive le premier, collant à Pogačar. À 50 km de Sienne, dans un virage, le Slovène a chuté. Pidcock, dans un geste de fair-play rare au plus haut niveau, a ralenti.
Mais la chevalerie a ses limites. Malgré la chute et un vélo changé, Pogačar a repris la chasse, rattrapé Pidcock, et l’a distancé dans l’ultime montée vers la Piazza del Campo. Une troisième victoire qui dépassait le simple sport : une démonstration de force mentale absolue.
Les contre-pouvoirs et les surprises
La saison ne s’est pas résumée aux géants. Elle a été illuminée par des exploits collectifs et individuels qui ont rappelé la beauté de l’imprévisible.
FDJ-Suez aux Strade Bianche : L’équipe française a livré un modèle de travail d’équipe. Evita Muzic en éclaireuse, Juliette Labous qui allume la mèche, et Demi Vollering qui conclut. Une symphonie tactique parfaite.
Magdeleine Vallieres, reine inattendue de Kigali : Alors que les favorites se surveillaient, la Canadienne a pris tous les risques dans l’échappée. Son attaque dans la dernière montée pavée lui a offert le maillot arc-en-ciel, dans un final de conte de fées.
Neilson Powless, seul contre trois : À Travers la Flandre, face à trois coureurs Visma (Van Aert, Benoot et Jorgenson), l’Américain a joué de leur supériorité numérique présumée. Il les a laissés s’entre-regarder avant de les surclasser au sprint. Une leçon d’intelligence tactique.
Le retour d’Anna van der Breggen : Trois ans après sa retraite, son retour fut un succès au-delà des attentes. Un podium à Strade Bianche et une médaille d’argent aux Mondiaux CLM ont prouvé que son class était intemporel.
Une saison à deux visages
2025 a donc été cela : le règne implacable de Tadej Pogačar, dont la recherche de la perfection a redéfini les limites du possible. Mais aussi, et peut-être surtout, la preuve que son ombre portée n’étouffe pas le cyclisme. Elle force au contraire les autres à s’élever, à innover, à prendre des risques fous.
C’est dans ces interstices, dans ces moments où les plans parfaits volent en éclats, que le sport a livré ses plus belles émotions. Des exploits individuels aux chefs-d’œuvre collectifs, cette saison a démontré que même dans une ère de domination, l’inattendu garde toujours ses droits. Et c’est cette tension permanente qui fait battre le cœur du cyclisme.


