Transfert chez Red Bull-BORA-hansgrohe, ambitions revues à la hausse, mais même prudence. Le prodige belge explique pourquoi il continue de reporter son baptême sur l’Enfer du Nord, quand son rival slovène en a déjà fait une priorité. Une décision calculée qui révèle les fractures d’une carrière cabossée.
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Le choix du stratège : pourquoi Evenepoel dit « non » à Paris-Roubaix
La réponse est limpide, sans détour, mais sans portes définitivement fermées. Interrogé sur Bartoli Time (RMC) sur une éventuelle participation à Paris-Roubaix à l’image de Tadej Pogacar, Remco Evenepoel a posé ses conditions : « Bien sûr, un jour je serai au départ, ça c’est clair. »
Mais ce jour n’est pas 2026. Le champion olympique, transféré cet hiver chez Red Bull-BORA-hansgrohe après sept saisons fondatrices chez Soudal Quick-Step, assume un choix réfléchi. « Si on doit comparer ma carrière avec celle de Tadej, il a fait quelques années sans problème, sans arrêt. Moi j’ai quelques problèmes lors des dernières années. »
Là où Pogacar peut explorer – le Slovène préférant même Paris-Roubaix à un cinquième Tour – Evenepoel construit encore. Chaque pavé du Nord représente un risque supplémentaire qu’il refuse, pour l’instant, d’ajouter à l’équation.
La malédiction des chutes : un corps déjà éprouvé
Le calendrier des blessures d’Evenepoel ressemble à un chemin de croix :
2020, Tour de Lombardie : Chute spectaculaire dans un ravin, fracture du pelvis, 26 semaines d’absence. Certains craignaient alors pour sa carrière.
2024, Tour du Pays Basque : Nouvelle lourde chute, 8 semaines d’arrêt avec fracture de la clavicule et du scapula.
2024, entraînement : Accident avec une portière ouverte, 6 semaines supplémentaires d’arrêt, côtes fracturées, nouvelle fracture du scapula et de la main.
Contrairement à la trajectoire relativement linéaire de Pogacar, la carrière du Belge a été brutalement freinée à plusieurs reprises. Avant de s’attaquer aux pavés les plus violents du calendrier, il doit d’abord stabiliser sa saison. Enchaîner. Durer.
La stratégie Red Bull : performance avant exploration
Chez Red Bull-BORA-hansgrohe, l’objectif est cristallin. « Pour le moment, le plus important c’est de retrouver mon meilleur niveau et d’avoir une saison vraiment stable avec beaucoup de victoires un peu partout », explique Evenepoel. « Après on pourra peut-être changer la vision. »
Priorité numéro 1 : dominer son terrain avant de l’élargir
Le message est cohérent, assumé. « Moi je dois encore progresser sur les Grands Tours, sur les courses d’une semaine, sur les courses qui me conviennent très très bien. Quand je serai à un certain niveau, à pouvoir gagner ces courses-là […] alors je pourrai plus me concentrer sur les autres courses que je n’ai pas encore faites. »
La comparaison avec Pogacar revient naturellement, sans amertume : « Pour Tadej c’est différent. Il a déjà gagné 4 fois le Tour de France, le Giro, le Tour de Flandre… Donc pour lui c’est plus facile de se concentrer sur d’autres courses. »
La révolution Red Bull : moins de « freestyle », plus de structure
Le kick-off de la saison 2026 a eu lieu sous le soleil de Majorque. Et le choc culturel est palpable pour le coureur de 25 ans.
Un univers totalement nouveau
« Déjà lors du premier meeting, nous étions plus de 200 personnes ! » s’étonne Evenepoel. « C’est vraiment structuré, vraiment différent. Moins freestyle. »
La galaxie Red Bull, c’est :
Plus de moyens : « Il y a beaucoup plus d’argent, beaucoup plus de possibilités pour les tests, les reconnaissances«
Plus d’exigence : « Les entraînements sont plus durs. Il y a déjà plus d’exercices après 2-3 semaines«
Plus d’intensité : « Ce dont j’avais besoin. Si je veux augmenter mon niveau, il faut que je souffre à l’entraînement«
Le programme 2026 : ambitions claires, leadership partagé
Evenepoel n’a pas esquivé ses objectifs :
Les Classiques ardennaises (Amstel Gold Race, Liège-Bastogne-Liège)
Un podium sur le Tour de France
Reconquérir le maillot arc-en-ciel
Sur la Grande Boucle, révolution stratégique : un leadership partagé avec l’Allemand Florian Lipowitz.
Zak Dempster, manager sportif : « L’idée, c’est d’y aller avec 2 gars qui ont fait 3ème du Tour lors des 2 dernières années. L’approche, ce sera de rouler pour Lipowitz et Remco avec une forte équipe. »
Evenepoel : « C’est nouveau mais je pense que c’est plutôt pas mal parce qu’il y a moins de risque de tout perdre si l’un des deux abandonne ou tombe malade. »
Klaas Lodewyck, directeur sportif : « Ce sont 2 jeunes coureurs avec un énorme potentiel. L’un est meilleur sur les efforts explosifs. L’autre sur les efforts plus longs. Je pense que c’est une saine concurrence. »
L’écosystème belge : la « Belgian Touch » chez Red Bull
L’arrivée d’Evenepoel s’accompagne d’une véritable colonie belge :
Cinq coureurs belges dans l’effectif (dont Jordi Meeus et Maxim Van Gils)
Une partie du staff néerlandophone
Une ambiance déjà familière pour le champion
Maxim Van Gils confirme : « On a beaucoup parlé néerlandais pendant ce stage. »
Le duel de l’ombre : la course contre Pogacar
Même sans se confronter directement sur les pavés, le duel Evenepoel-Pogacar structure déjà la saison 2026.
Deux philosophies, deux temporalités
Pogacar explore. Evenepoel consolide. Le Slovène peut se permettre de viser Paris-Roubaix. Le Belge doit d’abord prouver qu’il peut enchaîner les saisons pleines.
Evenepoel le reconnaît : « Je fais déjà des intensités dans ma troisième semaine après la reprise. Si je veux me rapprocher du niveau de Tadej Pogacar, je dois souffrir. »
Le calendrier 2026 d’Evenepoel : une montée en puissance calculée
Début de saison : Chrono par équipes à Majorque
Février : Tour de Valence et Tour de Catalogne
Avril : Les classiques ardennaises
Juillet : Tour de France avec leadership partagé
Arrière-saison : Championnats du monde
La patience comme arme absolue
Remco Evenepoel joue la carte de la prudence calculée. Paris-Roubaix attendra. L’Enfer du Nord n’est pas annulé, mais reporté. Jusqu’à ce que le corps et la carrière soient prêts.
La priorité : stabiliser, durer, dominer les terrains connus avant de conquérir les nouveaux.
Le pari : qu’une saison pleine, sans blessure, avec des victoires sur les Grands Tours, vaut mieux qu’un baptême précipité sur les pavés.
L’objectif ultime : se rapprocher du niveau de Pogacar, non pas en l’imitant, mais en suivant son propre chemin. Plus sinueux, certes. Mais peut-être plus durable.
Le message est passé. Evenepoel ne fuit pas Paris-Roubaix. Il prépare simplement son arrivée. Quand il sera prêt. Quand son corps aura oublié les chutes. Quand sa carrière aura trouvé son rythme. Alors seulement, il affrontera l’Enfer. Pas en touriste. En conquérant.


