Beaucoup de coureurs appréhendent les étapes de montagne. Histoire d’amour pour les grimpeurs ou de désamour pour ceux qui redoutent comme la peste les pourcentages les plus élevés qui leur donnent l’impression de reculer plus que d’avancer. Avant le départ, l’un de ces coursiers, du haut de ses tracas, entame une conversation intime avec sa bicyclette qui devient en cette circonstance une confidente à part entière de la femme du coureur, contrainte d’accepter ce tête-à-tête aux épanchements platoniques sans pour autant se départir d’une pointe de jalousie, bien placée ou pas.
-Tu montes, chéri ?
-Attends, c’est pas encore l’heure.
-Ne sois pas en retard pour la signature. Tu traines toujours la patte quand la route s’élève.
-Les gars viennent de partir, je ne suis pas en retard.
-Monte, chéri ?
-Attends, j’ai oublié un truc dans le bus.
-Mais oui c’est ça.
Ça y est, tu as tout ce qu’il te faut ?
-C’est bon.
-Allez, monte.
-Attends, je vérifie la pression de tes boyaux.
-T’exagères.
-C’est important.
-Alors, ils sont à ta convenance ?
-Ouais c’est bon.
-J’vais vérifier tes freins.
-Ben voyons.
-Prends encore plus le temps que d’habitude. Change les patins pendant que tu y es.
-Pourquoi pas.
-Allez viens, on y va, c’est la présentation de l’équipe sur le podium.
-Ouais, je monte.
-Alors, heureux ?
-Ouais ben, on verra à l’arrivée.
-T’inquiète pas, on va s’accrocher ensemble. On va encore en voir du pays. J’ai toujours aimé la montagne, tu le sais. C’est beau, vivifiant, on a l’impression d’être hors du temps, là-haut.
-En arrivant hors délai, oui !
-En s’accrochant c’est déjà bien.
-Je suis souvent cramé, à ramasser à la petite cuillère.
-Je sais mais, je suis là. Roulante, légère et réglée à souhait pour que tu sois au mieux dans les montées.
-On verra bien.
-Ecoute, si toutefois tu décides d’abandonner, sache que je ne t’en voudrais pas. Cela ne s’est pas encore produit mais, si cela devait arriver, je resterai ta Petite Reine.
-Et moi, ton roi aux jambes lourdes et à la tête non couronnée.