Conséquence de la pandémie de coronavirus qui frappe particulièrement l’Europe, tous les événements sportifs des mois à venir ont été annulés. Le cyclisme ne déroge pas à la règle, et les équipes professionnelles doivent composer avec l’arrêt de la compétition, le confinement, et le manque de visibilité à long terme. Rencontre avec Daniel Verbrackel, manager général de l’équipe Natura4Ever-Roubaix Lille Métropole (Continental-3ème division), et Thibault Ferasse, un de ses coureurs.
« On ne laissera pas tomber nos coureurs »
TodayCycling : Bonjour Daniel. Avant d’évoquer la crise sanitaire qui paralyse le monde du sport, revenons un instant sur votre début de saison. Quel bilan faites-vous des deux mois de course de l’équipe ?
Daniel Verbrackel : On a débuté, pour notre première sortie, par une victoire sur une course à étapes, la Tropicale Amissa Bongo. Il y avait des grosses équipes : des Continental pro, une World Tour, toutes venues pour gagner. C’était une magnifique entrée en matière. Après, on a enchaîné sur les courses méditerranéennes (Tour de la Provence, Tour des Alpes-Maritimes et du Var). Là, malgré le niveau extrêmement relevé, et les parcours très difficiles, on a quand même réussi à bien se placer dans certaines arrivées massives. Donc le bilan est plus que positif, c’est un excellent début de saison. Après, il y a l’extra-sportif …
Nous sommes justement en période de confinement. Vos coureurs habitent en France, en Belgique, au Luxembourg. Malgré l’enfermement et la distance, parvenez-vous à entretenir une dynamique d’équipe et une dynamique sportive ?
Les premiers contacts avec nos coureurs doivent avoir lieu fin mars, pour voir où ils en sont. Ceux qui habitent en Belgique peuvent encore faire du vélo, donc pour eux, c’est du bonus. Mais globalement, il n’y a plus beaucoup d’endroits où on peut rouler, tout le monde est logé à la même enseigne. Concernant l’entraînement, chez nous, chaque coureur a son propre entraîneur, ou son propre préparateur physique. Ce sont eux qui nous font des retours à ce niveau-là.
En dehors de l’aspect sportif, il y a évidemment des questions financières qui se posent. Vos coureurs bénéficient-ils un statut particulier ?
C’est la Ligue nationale de cyclisme qui gère ces problèmes. Jusqu’au 31 mars, un certain nombre d’heures de chômage partiel vont être affectées aux coureurs et à une partie du personnel. Cela se fait au coup par coup, nous verrons par la suite si c’est prolongé. Je tiens vraiment à souligner le travail exceptionnel de la Ligue, et de son directeur, Arnaud Platel, qui défend nos intérêts auprès du ministère pour la mise en chômage partiel de l’ensemble du peloton français.
Natura4Ever-Roubaix Lille Métropole « fonctionne à l’affectif »
Votre équipe, Natura4Ever-Roubaix Lille Métropole, est tributaire de ses sponsors. Comment réagissent-ils face à la situation ?
Ce que nos partenaires privés nous ont promis tombe mensuellement, il n’y a aucun souci à ce niveau-là. Les engagements pris sont respectés. Pareil pour les collectivités. Natura4Ever était comblée par nos résultats sur la première partie de saison. On a d’excellents rapports avec eux, et à aucun moment il n’y a eu de remise en cause de de notre engagement. Après, il ne faudrait pas que la situation s’éternise. Si l’entreprise est gravement impactée par la crise sanitaire, il y aura peut-être d’autres priorités que de mettre de l’argent dans le cyclisme…
Vous dirigez actuellement l’équipe professionnelle française au plus petit budget (1 million d’euros). Du fait de cette relative fragilité, quelles peuvent être les conséquences concrètes de la crise actuelle ?
Je pense que comme beaucoup de structures, 80% de l’argent est déjà arrivé dans les caisses, donc pour l’instant le problème n’est pas à ce niveau. On s’inquiète surtout pour nos coureurs. Le home-trainer c’est bien, mais ça reste un moyen artificiel de s’entraîner. Un cycliste ne peut travailler sérieusement que sur la route.
À moyen terme, on peut imaginer un véritable casse-tête pour la saison 2021. Comment renégocier le contrat d’un coureur qui n’a pas couru, et dont on ne connaît donc pas vraiment la valeur ?
Chez nous, tous les contrats sont annuels. Pour les coureurs comme pour les partenaires. Au sein de l’équipe, on fonctionne beaucoup à l’affectif, nous sommes très proches des coureurs, et on ne les laissera pas tomber, ça c’est sûr. On leur a fait confiance en début de saison, donc on leur fera confiance la saison prochaine si ça ne venait pas à repartir. Forcement ce n’est pas ce que l’on espère, mais là, c’est parti pour durer jusqu’à mi-juin quand même. En tout cas on s’adaptera, et pour le moment, c’est à nos coureurs de bien gérer leur alimentation, leur entraînement, et leur hygiène de vie en général.
Le Paris-Roubaix des jeunes, « on a tout annulé »
Pour en revenir au sportif, vous organisez chaque année Paris-Roubaix dans les catégories de jeunes, comment avez-vous géré la crise sur ce terrain-là ?
Ah, là c’est sûr que c’est un petit peu gênant ! On a tout annulé, pas reporté, annulé. C’est une décision qui a été prise d’un commun accord avec ASO. On se devait de trancher rapidement, par respect pour les équipes, qui viennent pour beaucoup de l’étranger. À aucun moment nous n’avons pensé à reporter ces épreuves, le calendrier international est très chargé, et si il y a une course qui est reportée, ce sera certainement le Paris-Roubaix professionnel. Forcément, on sera impactés financièrement. Mais c’est pas une catastrophe pour la structure, loin de là. Ce qui est dommage, c’est surtout le côté sportif évidemment.
Que peut-on vous souhaiter pour les mois à venir ?
Que la saison se termine comme elle a commencé, et que nos partenariats soient reconduits l’année prochaine. Plus généralement, que Natura4Ever-Roubaix Lille Métropole fasse partie du paysage cycliste français en 2021.
Thibault Ferasse : « C’est notre métier, certes, mais ce n’est que du vélo »
Passé professionnel au sein de la formation Armée de terre, Thibault Ferasse, 25 ans, a rejoint l’équipe Natura4Ever-Roubaix Lille Métropole en 2019. C’est avec les Rose et Noir que le Breton a passé un cap, en remportant l’an dernier son premier succès majeur, le classement général des Boucles de la Mayenne. Si l’année 2020 devait être celle de la confirmation pour le puncheur français, l’arrivée du coronavirus l’a contraint à revoir en partie ses objectifs.
TodayCycling : Daniel Verbrackel se félicite du début de saison de l’équipe, mais à titre personnel, quel bilan faites-vous de ces premiers mois de course ?
Thibault Ferasse : Plutôt encourageant. Il y a d’abord eu le GP La Marseillaise, où j’ai manqué de réussite dans le final. Ensuite, ça s’est très bien passé sur le Tour des Alpes-Maritimes et du Var (24ème du général). Donc c’était encourageant, étant donné que mes objectifs se situaient plutôt en mars et en avril. Je montais progressivement en puissance.
Comment vivez-vous cette période de confinement, et tant qu’homme et en tant que sportif de haut niveau ?
Le confinement; je le vis plutôt bien. Je suis privilégié, j’habite dans les Côtes d’Armor, je suis au calme, en campagne, j’ai la chance d’avoir un peu de terrain. Je pense que c’est un luxe à l’heure actuelle. Concernant l’entraînement, comme tout le monde, je fais principalement du home-trainer et du renforcement musculaire. Forcément, ça ne fait pas beaucoup d’heures en selle, à cause du risque de surentraînement. Mais je relativise. Je suis en bonne santé, dans un cadre idéal. Il y a bien plus grave que le report des courses cyclistes. C’est notre métier certes, mais ce n’est que du vélo, et des courses, il y en aura bien d’autres.
Comme tous les coureurs de l’équipe, votre contrat arrivera à son terme en fin d’année. Le fait d’avoir une saison tronquée vous inquiète-t-il à ce niveau-là ?
C’est sûr que même si je relativise, j’ai évidemment l’aspect sportif dans un coin de la tête. Nous avons tous dans l’équipe un contrat d’un an, et j’espère que l’on pourra courir en fin de saison pour se donner une chance de performer. Parce qu’une fois arrivés en fin de saison, si on n’a pas de résultats sur lesquels s’appuyer, c’est dur de se vendre auprès d’une équipe de rang supérieur.
C’était un de vos objectifs ?
Ah oui totalement ! Je ne m’en cache pas, je voulais absolument lever les bras cette années, pour me donner la chance d’évoluer. Je suis encore jeune, j’ai 25 ans, et j’ai envie de découvrir l’échelon supérieur. J’avais particulièrement bien préparé les courses d’avril, donc c’est une grande déception sportive de ne pas pouvoir y participer. Mais ce n’est absolument pas le moment de se morfondre et de baisser les bras. J’ai tout à prouver, c’est justement le moment d’aller au charbon. Il y aura bien des opportunités à un moment.
Financièrement, vous êtes inquiet ?
Non, pas pour le moment. On a récemment appris qu’on allait être au chômage technique. On touchera 100% de notre salaire le temps que ça durera.
Daniel Verbrackel nous a affirmé qu’il ne laisserait pas tomber ses coureurs dans ce contexte difficile. Comment réagissez-vous à ces propos ?
Ça le représente totalement. C’est quelqu’un qui aime ses coureurs, et qui a la main sur le cœur. Notre équipe est vraiment familiale, je ne doute pas que tout le monde sera solidaire.
Propos recueillis par Thibaud KEREBEL pour TodayCycling.