
Le vent du changement souffle sur le World Tour. Lors de la conférence de presse organisée par l’équipe désormais Allemande, Juan Ayuso et Mattias Skjelmose, les deux nouveaux piliers de Lidl-Trek, ont levé le voile sur leurs objectifs pour 2026. Derrière les sourires de façade et les déclarations officielles se dessine un projet ambitieux, complexe, où les égos doivent s’effacer devant la mécanique d’équipe. Après une saison 2025 historiquement faste (46 victoires), la structure anciennement américaine mise sur un duo à haut potentiel pour défier les géants UAE et Visma. Mais ce mariage de raison saura-t-il résister aux pressions du terrain et aux ambitions individuelles ? Plongée dans les coulisses d’une stratégie à haut risque.
Scandale et nouveau départ : Ayuso tourne la page UAE
D’entrée, Juan Ayuso a choisi la transparence. Le jeune Espagnol a lu une déclaration préparée pour clore définitivement le chapitre houleux de son départ de l’UAE Team Emirates. Des remerciements polis à l’encadrement, mais aussi une mention aux paroles prononcées « sous pression ». Page tournée. Son regard est désormais rivé sur l’horizon 2026.
Son programme est déjà calé, minutieusement construit comme une ascension vers le Graal : Début de saison sur le Tour de l’Algarve au Portugal où jadis Lance Armstrong débutait l’année. Préparation printanière : Paris-Nice, puis Tour du Pays Basque.
Sacrifices et vérités : Le dilemme brutal de Mattias Skjelmose
Si Ayuso incarne le futur, Skjelmose représente le présent, avec ses certitudes et ses concessions. Le Danois, vainqueur surprise de l’Amstel Gold Race 2025, a dévoilé avec une franchise déstabilisante l’étendue des sacrifices demandés.
Son rêve de leadership unique sur le Giro s’est évaporé. La direction sportive a privilégié un programme centré sur la défense de son titre sur les Ardennaises et une préparation aux championnats du monde. « J’ai été informé que je serais le seul leader dans les Ardennes » a-t-il affirmé, avant de lâcher : la venue d’Ayuso sur ces mêmes courses nécessiterait « la prochaine discussion ».
Une révélation qui en dit long sur la nouvelle hiérarchie. Skjelmose, malgré son statut, se décrit désormais comme « une brique dans le puzzle » d’un collectif dont l’objectif suprême est la victoire sur le Tour.
Objectif intermédiaire : Les classiques ardennaises en appui, puis le Critérium du Dauphiné comme ultime test.
Cible ultime : Son premier Tour de France en tant que leader désigné.
Pragmatique, Ayuso tempère les attentes. « Dire que je peux gagner le Tour cette année n’est pas réaliste. La première étape est de viser le podium. » Il voit en Lidl-Trek un miroir de sa propre carrière : un projet « à un stade similaire », ambitieux mais encore en construction.
La cohabitation impossible ? Le plan de bataille détaillé
Le succès de Lidl-Trek repose sur un équilibre subtil et inédit entre deux alpha. Voici leur feuille de route, et les zones d’ombre qui persistent.
La répartition des rôles : Qui commande, et où ?
Sur les Grands Tours : Juan Ayuso est le leader incontesté pour le classement général, notamment sur le Tour de France. Skjelmose partagera ce rôle sur des courses par étapes d’une semaine, comme le Tour des Pyrénées.
Sur les Classiques Ardennaises : Skjelmose part avec la confiance de l’équipe. Mais la présence potentielle d’Ayuso sur la Flèche Wallonne ou Liège-Bastogne-Liège crée un flou stratégique majeur.
La relation en construction : Les deux hommes l’admettent, ils ont peu échangé. Skjelmose mise sur la future complicité de terrain : « Je pense qu’on peut se refléter et beaucoup s’utiliser l’un l’autre. »
Les défis invisibles : Santé, médias et hiérarchie.
Au-delà des plans, des obstacles personnels se dressent.
Le dos de Skjelmose : Le Danois gère une hernie discale au quotidien. Il a opté pour un renforcement musculaire intensif plutôt que la chirurgie, un paramètre crucial dans le choix de ses courses.
Les pièges médiatiques : Skjelmose a regretté la tournure prise par certains de ses commentaires sur l’arrivée d’Ayuso. Une leçon apprise : ces sujets sensibles doivent désormais rester « en interne ».
L’ombre de Pedersen : Un troisième homme plane sur cette équation : Mads Pedersen. Pilier historique, il reste « le leader de l’équipe » sur le Tour, selon Ayuso lui-même. Un statut qui impose respect et complémentarité.
Le tableau de chasse 2026 : Quand la polyvalence devient un casse-tête stratégique
La véritable gageure pour Lidl-Trek ne réside pas dans la simple accumulation de talents, mais dans l’orchestration de leurs ambitions. L’équipe dispose d’une polyvalence exceptionnelle, une force qui peut se muer en faiblesse si la coordination échoue. Gérer plusieurs leaders aux objectifs distincts, parfois concurrents sur un même calendrier, est un exercice d’équilibriste de haut vol. Voici le décryptage des mandats et des défis individuels qui composeront la saison 2026.
Juan Ayuso : Le pari Tour de France. Le jeune Espagnol endosse le costume le plus lourd : celui de leader pour la course au général sur le Tour. Son défi est double. Il doit réussir son intégration rapide au sein d’un collectif déjà soudé, et assumer la pression d’un premier Tour en tant que patron. L’objectif collectif est clair : viser le podium, une première étape réaliste pour Ayuso et pour une équipe qui aspire à la plus haute marche.
Mattias Skjelmose : Le roi des Ardennes sous tension. Consacré par sa victoire à l’Amstel Gold Race, le Danois voit son rôle se préciser et, dans un même temps, se complexifier. Il est le leader attitré des classiques ardennaises. Cependant, son défi va bien au-delà du terrain. Il doit gérer au quotidien une santé fragile, avec une hernie discale qui dicte sa préparation, et négocier la cohabitation avec Ayuso sur des courses comme la Flèche Wallonne. Son objectif est de transformer son statut en une nouvelle victoire majeure.
Mads Pedersen : Le pilier historique en quête d’un Monument. Véritable colonne vertébrale de l’équipe, Pedersen reste le maître incontesté des classiques pavées et du sprint sur les Grands Tours. Son principal défi sera une programmation sur-mesure pour préserver sa fraîcheur et sa puissance tout au long d’une saison éreintante. L’ambition est à la hauteur de son palmarès : décrocher enfin un Monument, la pièce manquante à son extraordinaire collection.
Jonathan Milan : Le buteur chargé de confirmer. Après un maillot vert conquérant sur le Tour 2025, l’Italien doit passer un cap : celui de la confirmation. Son rôle de leader des sprints sur les Grands Tours ne fait plus débat. Son défi est désormais de s’imposer avec la régularité des grands et de résister à la pression qui accompagne son nouveau statut. L’objectif collectif est ambitieux : viser les maillots verts sur les trois Grands Tours, une démonstration de force et de constance.
La réussite de Lidl-Trek dépendra de sa capacité à faire cohabiter ces quatre destins sans les faire s’entrechoquer. Chaque pilier a un rôle défini, un défi personnel et un objectif qui sert la cause collective. L’équipe devra faire preuve d’une communication parfaite et d’une logistique millimétrée pour transformer cette incroyable densité de talents en un flot continu de victoires.
L’alchimie ou l’échec
Les déclarations d’Ayuso et Skjelmose ont dessiné les contours d’une équipe moderne, où le collectif est érigé en dogme. Lidl-Trek ne mise pas sur un seul homme, mais sur une armada. Le pari est audacieux : transformer une machine à gagner polyvalente en une structure capable de conquérir la course reine, le Tour de France.
La clé ne résidera pas dans la puissance individuelle, mais dans l’alchimie entre ces personnalités fortes. Pourront-ils vraiment « s’utiliser l’un l’autre » comme l’espère Skjelmose, ou les ambitions refoulées finiront-elles par faire exploser le projet ? En 2026, sur les routes de France, Lidl-Trek ne jouera pas seulement une course. Elle tentera de prouver qu’une nouvelle formule, basée sur le partage et la complémentarité forcée, peut triompher dans le cyclisme contemporain. La réponse est entre les mains d’Ayuso, de Skjelmose, et de leur capacité à faire cohabiter plusieurs soleils dans un même ciel.

