Esteban Chaves, les dates clés d’une vie de combats

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TODAYCYCLING - Portrait d'Esteban Chaves sur une façade de Bogota, par le collectif Cacerolo-Art à l'occasion de l'opération
TODAYCYCLING - Portrait d'Esteban Chaves sur une façade de Bogota, par le collectif Cacerolo-Art à l'occasion de l'opération "Mas que muros" (Source : Twitter E. Chaves)

Lutter pour vivre. Lutter pour gagner. En s’imposant samedi sur le Tour de Lombardie, Esteban Chaves (26 ans – Orica BikeExchange), a conclu une saison 2016 exceptionnelle dans laquelle le grimpeur de poche s’est hissé à deux reprises sur le podium d’un grand tour (2e du Giro avec une victoire d’étape, 3e de la Vuelta). Une folle ascension qui n’a pourtant rien d’irrésistible tant la trajectoire de « Chavito » a dû contourner bien des obstacles. Retour sur les dates clés d’une vie de combats. Une vie d’humilité, dans l’ombre de son « jumeau »  Nairo Quintana (26 ans – Movistar). Une vie de résilience.

17 janvier 1990, le silence du nourrisson

« Je suis venu au monde minuscule, pâle et laid » confiait le coureur au quotidien El Tiempo en décembre 2015. A la maternité de Bogota, le bruit des machines prend rapidement le pas sur les cris du bébé : « J’étais placé sous oxygène, j’étais intubé, mes veines étaient reliées à des tuyaux. J’étais pâle, pratiquement mort… ». A l’instar de Nairo Quintana, qui au même moment, ne survit que grâce aux effets de plantes locales, Esteban Chaves a dû redoubler d’efforts pour rester parmi nous. Sa place, il l’a gagnée. Et plutôt deux fois qu’une. Aujourd’hui encore, ses 55 kg répartis sur 164 cm, et son visage qui affiche les traits d’un gamin de 14 ans (quand Quintana semble facturer 74 années au compteur…) attestent d’un premier kilomètre plutôt mouvementé dans cette course de la vie.

2007, du sang-froid à Medellin

Frêle physiquement, d’origine modeste socialement, a priori « Chavito » n’a pas grand chose dans la musette. Il ronronne à la Liga de Bogota et son équipement fait peine à voir. Mais il a une chose que les autres n’ont pas forcément : une faculté de résilience. Et ça, son charpentier de père le sait. Lui qui transpose sur son fils son propre rêve cycliste avorté, a entendu parler d’un projet… Un magasin de cycles veut lancer une équipe de jeunes. Oui mais voilà, pour être dans les 6 élus, il faudra faire forte impression sur une course de 4 jours qui se déroule à Medellin. 1er coup de maître pour le jeune Chaves. Il restera 2 ans chez Trek, prenant à 18 ans une honorable 6e place sur la Vuelta a Porvenir. Mais l’essentiel est ailleurs, lui qui ne semblait pas taillé pour le vélo, entraperçoit le professionnalisme, et reçoit un vélo, des chaussures, un casque, bref un équipement… à sa taille !

Septembre 2010, avantage Quintana sur le Tour de l’Avenir

Les bonnes performances du coureur chez Trek ne restent pas sans suite. Fernando Saldarriaga, son ancien entraineur à la Liga de Bogota, l’envoie chez Colombia es Passion. Sous ses ordres, il sera le leader en montagne sur le Tour de l’Avenir 2010. Et il pourra compter sur une équipe 4 étoiles, avec notamment Nairo Quintana, Jairlinson Pantano et Darwin Atapuma. Mais le plan ne se déroule pas sans accroc. Une chute le contraint à l’abandon. Quintana, lui, enlève deux étapes et le classement général, Pantano 3e grimpe aussi sur la boîte, et Atapuma se glisse dans le Top 10. En 2011 on prend presque les mêmes et on recommence. Du moins, en apparence. Car Quintana est utilisé comme un vulgaire ver de terre au bout d’un hameçon. Colombia es Passion (devenue officiellement la sélection colombienne) fait mine de tout miser sur Nairo, mais c’est bien au tour d’Esteban de briller. Une victoire oui, mais pour le clinquant, on repassera. « Chavito » s’empare du Maillot Jaune pour une poignée de secondes gagnées dans la dernière descente de la dernière étape, et ne remporte pas la moindre étape quand Romain Bardet, Warren Barguil et Simon Yates ont tous levé les bras. Quintana s’était imposé avec brio en 2010, Chaves s’impose aux forceps en 2011. Si les deux pépites sont amies, Esteban souffre de la comparaison avec son coéquipier, même réduit au rang d’animal fouisseur. Un complexe d’infériorité encore perceptible en 2015 dans son interview à El Tiempo : « Oui tout à fait (Nairo est un surdoué). (et moi), non je ne crois pas ». Pourtant en 2011, Chaves a su lutter, encore et encore, ne pas baisser les bras, jamais, pour gagner, à nouveau.

12 Mars 2012, des larmes sur Tirreno-Adriatico

L’intégration au peloton professionnel est délicate. Passé chez pro chez Colombia-Coldeportes, Esteban Chaves dispute Tirreno-Adriatico en mars 2012. Un cauchemar qui se solde par un abandon sur l’avant dernière étape : « Je ne pouvais plus pédaler. Je suis descendu du vélo en pleurant (…) j’ai abandonné dans une mare de larmes » explique  t-il à El Tiempo. Confronté en Europe à des courses super-agressives, le Colombien pense pourtant avoir tout donné à chaque fois, et c’est ça qui le désespère. Il va devoir apprendre à repousser ses limites pour donner plus. En est-il capable ? La réponse ne tarde pas. Quelques mois plus tard, « Chavito » remporte l’étape reine du Tour de Burgos, sa première victoire chez les professionnels. Un déclic.

16 février 2013, le terrible coup d’arrêt

Le choc a été si violent. Il ne se souvient de rien. Le Trophée Laigueglia. Le bruit des machines qui râpent sur l’asphalte. Le cliquetis des vélos qui s’entrechoquent. Et ce feu de signalisation qui se dirige vers lui. A moins que ce ne soit l’inverse. Le bilan est lourd. La liste des blessures est longue. Presque autant que la liste des courses d’une famille de 8 enfants un samedi matin à Carrefour : lésions au cerveau, multiples fractures du crâne, fracture de la pommette, fracture de la clavicule, fracture du sphénoïde, contusion aux poumons. L’indisponibilité est estimée à un gros mois, mais la rééducation se passe mal. Le bras droit ne répond plus. Une nouvelle opération chirurgicale est prévue le 15 mai à Bogota pour tenter de reconnecter les nerfs. 9h d’intervention plus tard, le bras ne répond toujours pas…

Août 2013, une aiguille dans le bras (sic)

Une aiguille transperce la peau du bras droit d’Esteban. Le médecin envoie une stimulation électrique. L’ordinateur réagit. La réaction qu’il n’espérait peut-être plus. Le bras répond à nouveau. L’opération a été un succès. Encore une fois, « Chavito » a su contourner l’obstacle, et il semble d’autant plus prêt à reprendre sa route, qu’une proposition improbable se présente à lui : « Quand ils m’ont appelé, j’ai cru que c’était une blague. Une offre d’Australie, comme si j’étais déjà en retraite. Mais c’était sérieux, c’était une grand équipe », déclare t-il à El Tiempo. Le voilà chez Orica-GreenEDGE. Et il ne les remerciera jamais assez de lui avoir tendu la main, au moment où la sienne… ne répondait plus : « Je veux rester très longtemps avec eux, parce que je leur dois beaucoup ».

Septembre 2015, renouer avec son destin

On dit souvent qu’après une saison blanche, il faut au moins une saison entière pour retrouver le rythme. Et bien figurez-vous qu’avec Esteban Chaves… c’est exactement ce qu’il s’est passé (41e de la Vuelta 2014, 55e du Giro 2015) ! Et c’est sur la Vuelta 2015 que le Colombien a commencé à aligner les performances conformes à son talent. Après avoir claqué une 5e place et 2 étapes sur la Vuelta 2015, il a confirmé et impressionné sur le Giro 2016 (2e) et la Vuelta 2016 (3e). Certes, il est encore loin (peut être définitivement) de Quintana qui depuis 2013 s’est forgé un sacré palmarès (vainqueur du Giro 2014 et de la Vuelta 2016), mais qu’importe ? A quoi bon courir en vain derrière le temps perdu ? Seul importe de renouer avec son destin. Et son destin est de batailler à armes égales avec son rival et ami à l’avenir. D’ailleurs, quel plus beau champ de bataille que le Tour de France ? Nairo (2e en 2013 et 2015, 3e en 2016) rage d’en être passé à côté, Esteban complexe de ne l’avoir jamais disputé. Mais tous les deux en rêve. Chaves aime questionner ses homologues sur le Tour, il leur demande ce que ça fait que d’arriver sur les Champs Elysées. Et quand ils lui répondent que ça donne la chair de poule, « Chavito » ajoute, malicieux : « Alors imaginez ce que ça peut faire d’arriver à Paris en vainqueur ? ». Entre les deux Colombiens, le Tour de France 2017 sera épique. Ou ne sera pas.

1er octobre 2016, un monument dans la musette

En s’imposant samedi à Bergame sur le Tour de Lombardie, Esteban Chaves est revenu définitivement au premier plan à plus d’un titre. D’une part parce qu’il a levé le bras gauche, et… le bras droit, démontrant qu’il a bien renoué avec son destin, et que ce dernier ne se satisfera pas d’accessits. Mais aussi et surtout, parce qu’en devenant le 1er Colombien à remporter un monument du cyclisme, il inscrit à sa façon son nom en lettres d’or dans l’histoire du cyclisme Colombien aux côtés de Nairo Quintana. Une manière de rétablir une sorte d’équilibre avant de commencer le duel, pour de bon. Et à 26 ans chacun, ce n’est qu’un début… !

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VIDEO CYCLISME

Esteban Chaves remporte le Tour de Lombardie 2016

https://www.youtube.com/watch?v=4B7fprtilqU

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Laurent Devernet a effectué ses premiers pas en tant que rédacteur dans la presse magazine cycliste en 1994. Il est devenu rédacteur web en 2011. A rejoint le projet todaycycling.com en 2016. A couvert un très grand nombre de courses cyclistes professionnelles. A vu apparaître les Chavanel, Voeckler, Pineau... A vu Virenque en pleurs. A évoqué les aveux d'Armstrong, et les stupéfiantes excuses d'un bon nombre de coureurs .... Fou de vélo !

3 Commentaires

  1. Belle histoire beau coureur mais je vais rester prudent j’ai pas ENCORE envie d’étre déçu……!

  2. Nous avons bien raison d’être prudents…Et que les journalistes qui veulent placer l’éthique sportive au premier plan de leur engagement cessent de s’extasier devant certaines performances dans un article tout en dénonçant le dopage dans un autre ..Qu’ils cherchent par exemple à s’intéresser au geste sportif…Qu’ils s’inspirent d’Antoine Blondin :  » Anquetil a réussi à faire passer le cyclisme français de l’âge commercial à l’âge esthétique « …A titre personnel, j’ai suivi les championnats de France de cyclisme sur piste et je vous avoue que j’ai particulièrement apprécié l’allure à vélo et la personnalité exprimée durant la course et les interviews par le jeune Benjamin Thomas de l’Armée de Terre, vainqueur de l’omnium, entre autres performances…

  3. Chaves et Quintana ont connu l’enfer, alors je ne fais pas de soucis pour eux…

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