Steve Chainel s’est confié une nouvelle fois à TodayCycling à propos de son rôle de consultant, qu’il affectionne tout particulièrement, du Tour d’Italie et évidemment du Tour de France. Il livre ses pensées sans langue de bois. D’ailleurs, il verrait bien un Français piquer la vedette aux « cadors » cette année.
TodayCycling : Bonjour Steve. Tout d’abord j’aimerais savoir comment se sont passées tes trois semaines en Belgique à commenter le Tour d’Italie ?
Steve Chainel : Bien, très bien. Un peu long tout de même. Les quinze premiers jours ça allait, mais la troisième semaine a été longue. Moi qui suis attaché à mes Vosges, à mes petites routes de campagne, j’ai dû rouler sur les routes parisiennes pour préparer la saison de cyclo-cross qui débute mi-septembre. Mais c’était une super expérience, très très riche. J’ai pu rencontrer beaucoup de journalistes de la rédaction d’Eurosport. J’ai ainsi pu progresser dans mon rôle de consultant qui me plait à merveille.
j’essaye de beaucoup moins crier de « merde » à la télévision
TodayCycling : Et les championnats de France, un grand moment aussi ?
Steve Chainel : C’était la première fois que j’étais au micro notamment pour les réactions d’avant course. J’ai pu aussi suivre les épreuves féminines avec Marion (Rousse) qui sont moins médiatisées. Dimanche soir j’étais vraiment cramé parce que j’avais envie d’être le plus pertinent possible et le plus professionnel aussi lorsque j’ai interviewé mes anciens collègues. Une superbe expérience que j’espère renouveler. D’ailleurs j’ai eu pas mal de retours positifs. J’essaye de faire vivre ma passion au maximum, je ne joue pas au journaliste. Je suis naturel, je parle comme j’ai envie de parler. Alors évidemment, j’essaye de beaucoup moins crier de « merde » à la télévision.
TodayCycling : Lors de la dernière interview, tu nous avais laissé un peu en reste concernant la finalisation de ton programme de consultant pour les mois de juillet et août. Du nouveau ?
Steve Chainel : Pour le mois de juillet, je vais commenter le Tour de Pologne du 11 au 18 juillet, qui se déroulera cette année en même temps que le Tour de France. Et ensuite fin juillet je serai sur le Tour de Wallonie. Je suis en discussion également avec Guillaume Di Grazia pour venir un petit peu sur le Tour.
TodayCycling : Avec les Rois de La Pédale ?
Steve Chainel : Exactement. C’est un mal pour un bien de ne pas être sur le Tour de France puisque comme ça je pourrai m’entraîner. Mais j’espère un jour faire le Tour intégralement, pas l’an prochain non plus mais les années suivantes.
TodayCycling : On te retrouvera donc au micro d’Eurosport ?
Steve Chainel : Exactement. J’ai signé un contrat d’exclusivité avec Eurosport jusqu’en mars 2017.
les quinze premiers jours du Giro m’ont un peu ennuyé
TodayCycling : Passons un peu à l’actualité récente. Vincenzo Nibali vainqueur du « Giro » c’est un peu inouï au vu du scénario ?
Steve Chainel : Je vais être honnête, les quinze premiers jours du Giro m’ont un peu ennuyé. Je restais sur ma faim, beaucoup de foin pour pas grand-chose. Le leader, Steven Kruijswijk, me faisait la meilleure impression. Je me demandais qui pouvait le battre justement. Mais les trois derniers jours ont été extraordinaires, avec le suspens au rendez-vous. Chapeau aux organisateurs pour le parcours. Nibali qui prend le maillot la veille de l’arrivée c’est absolument fantastique. Très beau vainqueur. Mais je n’aurais pas misé une pièce sur lui à dix jours de l’arrivée, j’avais même prédit qu’il abandonnerait. Mais il a fait vraiment un Giro fabuleux. Par exemple, lorsqu’il a eu son problème de dérailleur, il n’a pas pété les plombs, il a su garder ses nerfs. Franchement avec la pression qu’il avait sur les épaules, il s’est comporté en très grand champion.
TodayCycling : Steven Kruijswijk, confirmation ou révélation ?
Steve Chainel : J’ai toujours pensé que c’était un coureur qui pouvait faire entre cinq et dix d’un Grand Tour. Il lui manquait toujours le petit plus pour pouvoir confirmer. Cette année, il est en pleine force de l’âge, en bonne condition et le départ d’Apeldoorn l’a surement aussi transcendé. C’est pas une grosse surprise non plus, mais de là à le mettre vainqueur du Giro… Mais c’est n’est pas LA révélation du mois de mai pour moi.
TodayCycling : As-tu été surpris du niveau d’Esteban Chaves ?
Steve Chainel : Non, ce n’est pas vraiment étonnant, il y a des garanties avec Chaves. Ce n’était pas non plus une grosse surprise, il a démontré par le passé être un très bon puncheur et également un bon grimpeur. Il commence à avoir de l’expérience. Il est dans une équipe Anglo-saxonne qui est très férue de matériel, de diététique etc. Un peu comme la Sky. Orica-GreenEDGE ne laisse rien au hasard et ça paye.
Froome, il fait peur !
TodayCycling : Et Chris Froome, il a encore une fois mis tout le monde d’accord sur le Dauphiné. Il apparaît comme son propre successeur à la victoire finale sur le Tour ?
Steve Chainel : Froome, il fait peur ! Déjà, il est doué dans tous les domaines, il est très rapide contre-la-montre, ses qualités de grimpeur ne sont plus à démontrer et il n’hésite pas à venir jouer des coudes lors des arrivées massives, ce qui fait qu’il perd peu de temps en première semaine. En plus, avec une équipe bâtie pour lui, tous ses coéquipiers présents sur le Tour 2016, dans n’importe quelle autre équipe ils auraient un rôle de leader assuré. Wout Poels qui gagne Liège-Bastogne-Liège, Geraint Thomas qui gagne Paris-Nice, quand ils arrivent sur le Tour, il y a aucune étape qui peut vraiment les surprendre. Froome lui, finalise le travail de ses coéquipiers. Donc, cette année encore je ne vois pas comment et qui peut le battre. Cela me paraît impossible. Si Froome ne remporte pas le Tour cette année, c’est qu’il y aura eu un coureur comme Contador ou Pinot qui aura su profiter de sa grande condition ou d’un jour sans du Britannique. Sky est vraiment l’équipe à battre.
TodayCycling : Sinon, du côté des Français, qui peut se démarquer pour toi ?
Steve Chainel : Pour moi, les deux qui se démarquent sont Romain Bardet et Thibaut Pinot. Après, un coureur comme Tony Gallopin peut très bien se glisser dans une échappée et jouer la gagne puis finalement jouer le général. La meilleure chance française pour moi c’est Thibaut Pinot. Il est complet, en pleine force de l’âge. Romain Bardet me semble moins fort, surtout contre-la-montre, mais je pense qu’il pourrait accéder au top 5. Tout comme Warren Barguil.
En France, nous n’avons pas la culture du détail
TodayCycling : Thibaut Pinot champion de France contre-la-montre, est-ce si surprenant que ça?
Steve Chainel : Non, pas vraiment. Je sais que la FDJ travaille énormément cette discipline. J’étais dans cette équipe en 2011 et c’est un domaine dans lequel les coureurs essayent de progresser. L’entraîneur de Pinot sait que pour ne pas perdre de temps sur Froome et compagnie, il fallait travailler le chrono. C’est un travail de longue haleine. Mais, en France, nous n’avons pas la culture du détail. La FDJ a seulement copié le travail de la Sky. Et ça paye, enfin !
TodayCycling : Selon toi, au vue de ses nombreux progrès, il peut viser un podium à Paris…
Steve Chainel : Oui, tout à fait. Ce serait la confirmation. Après, c’est le Tour, c’est la plus grande course au monde et il ne faut pas oublier la concurrence avec Froome, Quintana, Contador, Aru… Il y a tellement de noms qui peuvent monter sur le podium. Mais Thibaut, s’il ne perd pas de temps inutilement en première semaine, n’aura aucune raison de ne pas figurer sur le podium.
TodayCycling : Concernant Romain Bardet, deuxième du Dauphiné en juin, il apparaît en forme un petit peu tôt ?
Steve Chainel : Non, je pense que c’est quelqu’un qui se connait avant-tout. Il est très professionnel. Il vit vélo. J’ai eu la chance de le côtoyer chez AG2R-La Mondiale. Il a toujours su où il allait. C’est un coureur qui a vraiment une grosse caisse et avec un début de Tour difficile, il vaut mieux être au plus prêt de sa condition physique optimale que le contraire. Il a démontré ces dernières années qu’il savait être là au moment présent. Tout comme Julian Alaphilippe qui n’a pas arrêté depuis le Tour de Californie. C’est un coureur professionnel, il se doit d’être compétitif et c’est très bien qu’il soit encore là en juillet alors qu’il court depuis avril. De plus sa victoire sur le Tour de Californie lui a donné énormément de confiance.
TodayCycling : Julian Alaphilippe va d’ailleurs participer à son premier Tour de France. Un sacré tempérament !
Steve Chainel : Honnêtement, Julian, c’est pour moi le plus gros moteur que je connaisse. Je ne sais même pas ce qu’il est capable de faire tellement il est bon. Il a une énorme marge de progression. Je pense sincèrement que c’est le futur Valverde, sans prétention. Il va gagner des classiques, il va gagner des étapes de Grands Tours, il est également capable de monter sur le podium du Tour. Quand je disais à certains de mes managers qu’il fallait l’embaucher, ils me répondaient qu’il était trop tendre. Aujourd’hui, ils doivent s’en mordre les doigts. Je l’ai toujours dit, lui c’est un moteur de dingue ! Aujourd’hui, il fait le bonheur de l’équipe Etixx-Quick Step. Bravo à Patrick Lefévère de l’avoir pris.
Il y a un petit problème au niveau de la détection
TodayCycling : Les équipes françaises ont un gros manquement au niveau de la détection, quand on voit Warren Barguil chez Giant-Alpecin, Alaphilippe chez Etixx-Quick Step…
Steve Chainel : Exactement ! Il y a un petit problème au niveau de la détection. On a toujours peur qu’à 19-20 ans ils s’en aillent et on a toujours tendance à les cramer avant qu’ils aient fait quoi que ce soit. Le fait qu’Alaphilippe ait couru dans la réserve d’Etixx-Quick Step lui a permis d’apprendre le haut niveau sur de petites courses. À la FDJ, il aurait participé à des courses WorldTour et son potentiel n’aurait peut-être jamais émergé. Des coureurs comme Olivier Le Gac ou Romain Sicard qui avaient un énorme potentiel ont été mis sur des grosses courses trop tôt. Aujourd’hui, ils sont où ?
TodayCycling : On continue avec Julian Alaphilippe, serait-ce un petit peu prématuré de parler de maillot blanc ?
Steve Chainel : Je ne sais pas, franchement j’en sais rien ! Sincèrement c’est son premier Grand Tour, personne ne sait comment il va réagir. Il a déjà fait des courses d’une semaine, de dix jours, mais sur trois semaines on ne connait pas son potentiel. Il peut avoir un jour sans, surtout qu’il emmènera Marcel Kittel lors des arrivées massives et il devra protéger Dan Martin lors des étapes de montagne. Pourquoi pas une victoire d’étape ? Je suis quasiment certain qu’il va nous faire un truc incroyable. Pour le classement général, je ne sais pas du tout.
Le maillot vert ? Peter Sagan et Bryan Coquard
TodayCycling : Place au maillot vert. Peter Sagan semble également être son propre successeur au palmarès…
Steve Chainel : Pour moi, il y a deux coureurs qui peuvent aller chercher le maillot vert, c’est Peter Sagan et Bryan Coquard. Bryan, c’est quelqu’un qui passe très bien les bosses. Alors certes, ils sont moins rapides qu’un Marcel Kittel ou un André Greipel, mais dans une étape de moyenne montagne, ils sont capables d’aller chercher les points. La lutte va être assez serrée entre eux. Le maillot vert récompense, maintenant, pincipalement la régularité et pas seulement le coureur le plus rapide. Je vais être un peu chauvin mais je vois bien Bryan coquard ramener le maillot vert à Paris
TodayCycling : Vois-tu un sprinteur en particulier sortir du lot lors des arrivées massives ?
Steve Chainel : Je pense que les deux plus rapides sont Kittel et Greipel, qui ont, en plus, une équipe toute dévouée à leur cause. Kristoff est un petit peu moins rapide que l’an dernier. Cavendish, lui, est capable de tout alors attention à ne pas le sous-estimer. Je rajouterais aussi Bryan Coquard qui, en étant bien placé dans les derniers mètres lors d’une étape sinueuse, peut en décrocher une.
TodayCycling : En parlant des sprinteurs, que penses-tu du forfait de Nacer Bouhanni. C’est vraiment un coup dur pour Cofidis…
Steve Chainel : Oui, j’imagine que c’est une grosse déception pour eux. C’était le leader unique. Il avait tout un train à son service. Maintenant, sans Nacer, ils vont sûrement viser les victoires d’étapes en montagne notamment avec Navarro, Maté ou Jeannesson.
TodayCycling : Comme tout amateur de cyclisme, tu as dû entendre parler de l’enquête de Cash Investigation sur le Docteur Mabuse. Qu’en penses-tu ?
Steve Chainel : Comme d’habitude c’est un petit reportage qui sort à une semaine du Tour de France. Personnellement, je l’ai regardé sans être mal à l’aise. J’étais beaucoup plus troublé lors du reportage de Stade 2 sur les moteurs. Là, voilà, on sait que Bernard Sainz s’est occupé de beaucoup de coureurs pendant 30 ans. Il connait la plupart des coureurs, qui lui demandaient souvent des conseils sur la diététique. Maintenant, moi je ne le connais pas personnellement, mais j’ai déjà entendu parler de lui. Pour moi, c’était un reportage pour créer un buzz en vue du Tour de France. J’aurais aimé qu’on parle un petit plus des footballeurs avec l’Euro, notamment. Il y aura toujours des sceptiques concernant le vélo, des gens qui pensent qu’il n’y a que des tricheurs. Ces gens là ne sont pour la plupart jamais montés sur un vélo. Mais quand je regarde les chiffres en 2016, je me dis que la lutte antidopage a bien évolué tout de même.
Froome, Pour moi c’est l’archi-favori
TodayCycling : Pour finir, ton favori pour la victoire finale ?
Steve Chainel : Froome. Pour moi c’est l’archi-favori. Je mettrais une petite pièce sur Thibaut Pinot aussi. Pour moi, Quintana ou encore Contador sont un petit peu moins forts que Froome. J’ai oublié Pierre Rolland aussi. Il a préparé son Tour de la meilleure des manières. Il va sûrement être un petit peu moins surveillé que Pinot ou Bardet. Il pourra donc pourquoi pas s’immiscer dans une échappée et prendre quatre ou cinq minutes. Il s’est fait très discret depuis le début de saison et n’a pas de pression.