Bahrain – Merida : levier de soft power

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TODAYCYCLING - Nasser et Vincenzo roulent d'un commun accord. Photo : Instagram Nasser bin Hamad al Khalifa
TODAYCYCLING - Nasser et Vincenzo roulent d'un commun accord. Photo : Instagram Nasser ben Hamed al-Khalifa
Faute d’épreuve cycliste sur son territoire restreint, au contraire de ses voisins du Qatar, d’Oman et de Dubaï, l’émirat du Bahreïn a sorti le chéquier pour s’offrir une équipe WorldTour, un puissant outil de marketing territorial à l’Astana.
Avec Nibali en tête de gondole, la Bahrain – Merida Pro Cyling Team a pour objectif de concurrencer les plus grosses écuries cyclistes et de promouvoir l’émirat comme un destination business et touristique de rang mondial (et restaurer son crédit international aussi).

Le Golfe, nouvelle terre cycliste

En octobre 2016, les championnats du monde de cyclisme se courront à Doha, au Qatar. Il s’agira seulement de la seconde édition hors d’Europe et d’Amérique ! En 1990, Rudy Dhaenens et Catherine Marsal avaient emporté l’arc-en-ciel à Utsunomiya, au Japon (un certain Jean-Philippe Dojwa y avait, quant à lui, enlevé la médaille de bronze chez les amateurs, catégorie devenue U23 en 1996).
Affable, l’UCI propose un calendrier qui n’est que bonté. Ainsi, depuis une dizaine d’années, en février avant le Het Nieuwsblad, on roule aussi au Moyen-Orient.

Le Tour du Quatar (TOQ) est organisé par ASO depuis 2002

Cette épreuve, aussi plate que l’Arc de Triomphe, le championnat du monde de galop sponsorisé par le Qatar Racing Equestrian Club depuis 2008, est dédiée aux sprinteurs (et à Niki Terpstra, qui l’a déjà emporté deux fois). Ce n’est pas tout. La Qatar est le terrain d’un tournoi ATP World Tour 250 à Doha depuis 1993 et du premier GP Moto de la saison depuis 2004. Le pays a également accueilli le Championnat du monde de handball masculin en 2015. Enfin, le petit émirat qui monte a candidaté à l’organisation des JO d’été de 2020 (qui auront lieu à Tokyo), recevra les Mondiaux d’athlétisme de 2019 et a gagné à prix d’or le droit d’organiser la Coupe du monde de football en 2022. C’est ce que l’on appelle une golden decade. La marque Qatar, pour bien se démarquer de ses voisins de l’OPEP, c’est aussi bien sûr la chaîne d’information mondiale Al Jazeera, Qatar Airways et le rachat et le développement du PSG.

Lancé par ASO, le Tour of Oman (TOO) se court depuis 2010

Il a nettement gagné en intérêt à partir de 2011 et le passage obligé en haut de Jabal al Akhdhar, la fameuse Montagne verte domptée début 2016 par Vincenzo Nibali devant Romain Bardet.
 
Dernier né, en 2014, au cœur de l’un des sept émirats arabes unis, le Dubai Tour (DT)
L’épreuve est co-organisée par Dubai Sports Council (DSC, l’agence gouvernementale en charge du développement d’une culture partagée du sport) et RCS Sport, l’ASO italien (Giro, Primavera, Tirreno et d’autres courses bientôt retransmises par L’Equipe d’ailleurs). A l’instar du Qatar, ce vrai plat pays consacre les grosses cuisses (celles de Marcel Kittel ont succédé en 2016 à celles de Mark Cavendish).
Hub mondial majeur (compagnie Emirates), Dubaï développe depuis longtemps une stratégie de séduction à l’international avec un tournoi ATP World Tour 500 depuis 1993 (7 titres pour Federer) et une étape du World Rugby Sevens Series depuis 1999.

Bahreïn met le paquet dans la petite reine

Seul un GP de Formule 1 s’y déroule depuis 2004. Pas facile d’organiser une belle course cycliste d’intérêt de quelques jours sur moins de 800 km².

Échaudé par le succès de la diplomatie sportive qatarienne, le royaume a développé un projet de constituer une équipe WorldTour dès 2017. Pari réussi pour Dr Nasser et Mr Al-Khalifa, entre autres commandant de la garde royale, Président du Conseil suprême de la Jeunesse et des Sports et de Président du Comité Olympique du Bahreïn.

La classe à l’italienne

Depuis début août, la Bahrain – Merida Pro Cycling Team égrène ses recrues officielles dont certaines relevaient d’un secret de polichinelle. A commencer par Vincenzo Nibali qui a lui même annoncé son arrivée au sein de l’équipe bahreïnie.
Nibali vient entouré de ceux qui le pratiquent le mieux : Paolo Slongo, directeur sportif chez Astana, son entraîneur perso depuis ses débuts pros, et Michele Pallini, son physiothérapeute.

Ont suivi Giovanni Visconti (Movistar), Manuele Boaro (Tinkoff), Kanstantsin Siutsou (Dimension Data), Borut Bozic (Cofidis), Sonny Colbrelli (qui monte en WorldTour en provenance de la Bardiani CSF), Luka Pibernik (espoir slovène de la Lampre-Merida), Grega Bole (vainqueur du Tour de Corée cette année chez Nippo – Vini Fantini) et Heinrich Haussler (avec une solide campagne printanière 2016 chez IAM : 7ème de la Primavera et 6ème à Roubaix).
Au total, on dénombre neuf coureurs ayant déjà signé. Ce qui est assez maigre par rapport à l’effectif pro des équipe WorldTour 2016 : entre 21 (Orica) et 27 (Sky). Il en manque encore une bonne douzaine ce qui laisse présager de belles annonces pour le Golfe Team. Louis Meintjes (Lampre) est évoqué avec insistance, tout comme Salvatore Puccio (Sky). Pas de Rui Costa ni de Diego Ulissi futurs leaders de la nouvelle Lampre sous pavillon chinois (130 millions € sur quatre ans mine de rien, soit pas loin de 30 millions par an, davantage que les 18 – 20 millions annoncés pour le Team Bahrain – Merida).
Et comme Vincenzo Nibali a également la classe en ville, son tailleur, la marque de prêt-à-porter Lebole, rejoint l’aventure.

Un encadrement pas très MPCC

Pour mémoire, le Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC, présidé depuis sa mise en place en 2007 par Roger Legeay, alors patron de Crédit Agricole) est une association qui a pour but de défendre l’idée d’un cyclisme propre, en se basant notamment sur les notions de transparence, de responsabilité et de mobilisation de ses adhérents. Il s’agit ni plus ni moins de strictement respecter le code d’éthique mis en place par l’UCI. Ce qui semble assez contraignant pour pas mal d’équipes défaillantes (Astana et Katusha récemment, voire Orica officiellement davantage tentée par le club Velon).
En tout cas, le peloton MPCC se réduit comme peau de chagrin avec seulement sept équipes WorldTour en 2016 contre dix l’an dernier, et 73 % des équipes Pro Continental contre 95 % en 2015 (dont la Bora).

Dans les voitures de la Bahrain – Merida, trois directeurs sportifs du sérail :

  • le slovène Gorazd Stangelj, directeur sportif chez Astana depuis 2012 et accessoirement contrôlé positif à l’éphédrine en 2000
  • l’italien Mario Chiesa, ex-Carrera au service de l’immense Claudio Chiappucci, ancien patient du Docteur Conconi (« il signor EPO ») et directeur sportif depuis 2001 (notamment du jeune Nibali chez Fassa Bortolo et Liguigas, puis à la Katusha et enfin IAM depuis 2 ans)
  • le néerlandais Tristan Hoffman en provenance de Tinkoff, un ancien flahute (notamment deuxième à Roubaix derrière Magnus Bäckstedt en 2004) qui a commencé sa reconversion aux côtés de Bjarn Riis chez Saxo.

Sans oublier le Docteur Emilio Magni, officiant chez Astana, qui s’occupait en son temps de Marco Pantani.

Caution ? Le sudaf Brent Copeland hérite de la double casquette de manager général + ambassadeur après trois ans passés à la tête de la Lampre – Merida

Il a réussi l’internationalisation de l’équipe italienne réussie après la tourmente de l’Affaire de Mantoue qui mettait en cause quelques coureurs Lampre (Ballan, Cunego, Santambrogio, etc.) et son encadrement (le fameux Guiseppe Saronni qui d’ailleurs va revenir aux affaires à la tête de la future Lampre sous pavillon chinois de JT Sport). Loin d’être un parangon d’éthique, Brent a claqué la porte du MPCC en 2015 à la ré-intégration d’Ulissi dont le contrat n’avait pas été rompu durant sa suspension.
Dans ses bagages, il emporte le constructeur de cycles taiwanais Merida. Créé en 1972 à Yuanlin, comme Giant (numéro un mondial du cycle), Merida équipait la Lampre depuis 2013.

Des vélos taiwanais, une licence bahreïnie, Nibali et un siège en Italie. La globalisation du cyclisme en somme, n’en déplaise à Marc Madiot qui en dit pis que pendre :

 « Je veux bien aller courir au Qatar et à Oman, on y va, mais je ne veux pas que ce soit au détriment de l’Etoile de Bessèges ou du Grand prix Cholet-Pays de Loire. Si la FDJ est dans ce sport, c’est aussi parce qu’on va à Cholet-Pays de Loire. On ne vend pas de tickets de loto au Qatar ».
Pédale ! La grande aventure du vélo. Juin 2016
Et ouais, en février se courent aussi La Méditerranéenne et le Tour du Haut-Var avant les classiques.

1 COMMENTAIRE

  1. Votre exposé est fort complet, avec une bonne dose de commentaires sur les prétendus bons et les méchants sur le sujet du dopage…Cette initiative est toujours délicate, car le sujet est loin de se réduire à mpcc ou pas…Ou aux paroles de Madiot sur lequel par exemple vous pourriez trouver une véritable batterie de casseroles, et pas seulement oratoires !…etc…Je n’enlève rien à votre désir de relater le passé révélé de certains…On peut le faire aussi en politique !…En la matière, l’entreprise est contestable car,à ne jamais pouvoir être exhaustive, elle n’est pas objective …

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